Le plus beau jour de ma vie – ma nouvelle naissance en quelque sorte – fut le jour où je découvris que je n’avais pas de tête. Ceci n’est pas un jeu de mots, une boutade pour susciter l’intérêt coûte que coûte. Je l’entends tout à fait sérieusement : je n’ai pas de tête.
Je fis cette découverte il y a dix-huit ans, lorsque j’en avais trente-trois. Tombée soudainement du ciel, elle répondait néanmoins à une recherche obstinée ; pendant plusieurs mois, j’avais été absorbé par la question : qu’est-ce que je suis ?
Que cette découverte se soit produite dans les Himalayas importe peu ; c’est pourtant , dit-on, un lieu propice à des états d’esprit supérieurs. Quoi qu’il en soit, ce jour, très clair, très calme, et cette vue du haut de la crête où je me trouvais, par-delà les brumes bleues des vallées, vers la plus haute chaîne de montagnes du monde, avec parmi ses cimes enneigées, le Kanchenjunga et l’Everest, voilà sans doute ce qui rendit cette scène digne de la vision la plus haute.
Il m’arriva une chose incroyablement simple, pas spectaculaire le moins du monde : j’arrêtai de penser. Un état étrange, à la fois alerté et engourdi, m’envahit. La raison, l’imagination et tout le bavardage mental prirent fin. Pour la première fois, les mots me firent réellement défaut. Le passé et l’avenir s’évanouirent. J’oubliais qui j’étais, ce que j’étais, mon nom, ma nature humaine, animale, toute ce que je pouvais appeler mien.
C’était comme si à cet instant, je venais de naître, flambant neuf, sans pensée, pur de tous souvenirs. Seul subsistait le Maintenant, ce moment présent et ce qu’il me révélait en toute clarté. Voir, cela suffisait .
Douglas Harding “Renaître à l’évidence”, Editions Le Courrier du Livre
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