mardi 13 septembre 2011

Il faut que le savoir cesse pour que le neuf puisse exister


L'amour ne connaît pas le temps. L'amour n'appartient ni à vous ni à moi, il n'est jamais personnel; on peut aimer une personne, mais lorsqu'on limite ce sentiment à un seul être, il cesse d'être de l'amour. Dans l'amour véritable, il n'y a pas de place pour les divisions du temps, de la pensée, et de toutes les complexités de la vie, ni pour toutes les misères, les confusions, l'incertitude, les jalousies et les angoisses humaines.

Il faut faire très attention au temps et à la pensée. Cela ne veut pas dire que nous devons vivre uniquement dans le présent, ce serait une absurdité. Le temps est le passé, modifié, qui continue dans le futur. C'est un continuum auquel la pensée s'accroche. Elle s'attache ainsi à quelque chose qu'elle a créé de toutes pièces.

L'écureuil est revenu. Il s'est absenté quelques heures et se retrouve sur la branche, grignotant quelque chose. Il observe, écoute, étonnamment alerte, vivant, conscient, tremblant d'excitation. Il va et vient, sans vous dire où il va ni quand il reviendra. Et le jour devient plus chaud, la tourterelle et les oiseaux sont partis. Seuls quelques pigeons volent en groupes d'un endroit à l'autre. On entend le froissement de leurs ailes qui battent l'air. Il y avait ici un renard, mais nous ne l'avons pas vu depuis longtemps. Il est probablement parti pour toujours, l'endroit est trop habité. On trouve aussi beaucoup de rongeurs, mais les gens sont dangereux et celui-ci est un petit écureuil timide, aussi capricieux que l'hirondelle.

Alors que la continuité n'existe nulle part, sauf dans la mémoire, existe-t-il dans l'être humain, dans son cerveau, un endroit, une zone, petite ou grande, d'où la mémoire soit absente, qu'elle n'ait jamais effleurée ? Il vaut la peine d'observer tout cela, d'avancer sainement, rationnellement, de voir la complexité et les replis de la mémoire ainsi que sa continuité qui est, somme toute, le savoir. Le savoir est toujours dans le passé, il est le passé. Le passé est une immense mémoire accumulée, la tradition. Et quand on a examiné tout cela avec soin, sainement, la question inévitable est celle-ci : existe-t-il une zone dans le cerveau, dans la profondeur de ses replis, ou dans la nature et la structure intérieure de l'homme et non dans ses activités extérieures, qui ne soit pas le résultat de la mémoire et du mouvement de la continuité ?

Les collines et les arbres, les prairies et les bois dureront aussi longtemps que la terre, à moins que l'homme ne les détruise par cruauté et désespoir. Le ruisseau, la source d'où il vient, ont une continuité, mais nous ne nous demandons jamais si les collines et l'au-delà des collines ont leur propre continuité. S'il n'y a pas de continuité, qu'y a-t-il ? Il n'y a rien.

Nous avons peur de n'être rien. Rien signifie qu'aucun objet n'existe. Aucun objet assemblé par la pensée, rien qui puisse être reconstitué par la mémoire, les souvenirs, rien qui puisse se décrire par les mots puis se mesurer. Il se trouve certainement, sûrement, un domaine dans lequel le passé ne projette pas son ombre, où le temps, le passé, le futur ou le présent ne signifient rien.

Nous avons toujours essayé de mesurer par des mots ce que nous ne connaissons pas. Nous essayons de comprendre ce que nous ignorons en l'affublant de mots, le transformant ainsi en un bruit continu. Et ainsi encombrons-nous notre cerveau, déjà plein d'événements passés, d'expériences et de savoir. Nous pensons que le savoir est d'une grande importance psychologique, mais cela est faux. Il est impossible de croître par le savoir ; il faut que le savoir cesse pour que le neuf puisse exister.

Neuf est un mot qui qualifie ce qui n'a jamais été auparavant. Et ce domaine ne peut être compris ou saisi par des mots ou des symboles: il est au-delà de tous les souvenirs.

Extrait du "Dernier Journal" De J. Krishnamurti (Ed du Rocher)

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