lundi 26 septembre 2011

Le regard


Jusqu’à maintenant, comme tout le monde, je regardais, en allant de moi vers l’objet regardé. De par ce mouvement du regard vers l’extérieur, on repousse ce qui est regardé – et ce, même si on désire « posséder » ce que l’on regarde. Ce regard va de quelque chose que l’on pense exister (yeux et tête) vers quelque chose d’extérieur à soi. Il évalue, soupèse, compare, juge, ce qu’il regarde. Il maintient la dualité (moi et le reste) et la notion de distance. Il trouve certaines choses belles, d’autres non. Il est curieux, veut prendre ou rejeter. 
L’autre regard, (celui de maintenant) est regard pur, ne venant d’aucune tête, mais d’un espace immense, vacant et très clair. Il voit ce qu’il regarde mais sans ce mouvement vers l’extérieur. Il fait tout le contraire du premier regard cité plus haut. Il voit tout en happant en quelque sorte ce qu’il regarde. Il accueille tout ce qu’il voit, sans comparer ou juger. Il a la prodigieuse capacité d’engloutir instantanément ce qui se présente dans son champ. La notion de distance disparaît. Tout ce qui est vu, est là : la main qui écrit, le mur de la maison, ou l’étoile et la galaxie quand il présente cela dans son champ. Il est totalement immobile, c’est le monde qui lentement ou rapidement se présente à lui. Ce regard est fait de beauté, amour et émerveillement. Ce n’est pas l’objet regardé qui déclenche cela, mais il est cela, quel que soit ce qui est regardé.

Lorsque les paupières s’abaissent, derrière les paupières closes il est toujours cela. Tout ce qui existe dans le monde manifesté est reçu avec le même regard : une vieille boîte de conserve, les fleurs, les montagnes enneigées, un crachat sur le trottoir, le visage de qui que ce soit. Il s’émerveille lui-même en quelque sorte, de par sa prodigieuse, constante et inaltérable capacité d’accueil. Il est un espace toujours nouveau pur et vierge. La notion de beauté n’est pas opposée à celle de laideur. La beauté vient de cette clarté constante, vive, fraîche qui constitue le regard. L’amour ne vient pas de celui qui regarde ou de ce qui est regardé. On peut dire que dans cet espace vacant, immense, lumineux, l’amour est toujours là, vibrant et comme « au fond » de cet espace sans fin. Il y a amour !

Tout ce qui est regardé est aussitôt accueilli et aimé. D’ailleurs accueil et amour semblent indissociables. Et cela est tellement simple, évident, que l’on se demande comment on a pu, avant, regarder différemment. C’est comme si enfin mes vrais yeux, non mon œil, non le Regard s’était enfin ouvert.
Il ne demande rien, n’attend rien, ne veut rien prendre, mais engloutit tout instantanément et constamment.
Jean-Jacques Prade
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