mardi 15 novembre 2011

La gratitude du Silence

Gandha-Ondine sacrée
La nuit commençait à tomber et j’ai regagné ma chambre d’hôtel. Les gens rentraient chez eux. […]

Si la création impliquait l’invention de bêtes meurtrières, rapaces, démoniaques telles que les humains, elle n’avait guère de raison d’être. La belle philosophie des Upanishads semblait incapable de répondre à cette question absolument fondamentale. Du fait de mon amertume, ces textes n’avaient plus pour moi aucun sens. Tout ce que j’avais accepté jusqu’ici me paraissait à présent trop élevé, trop distant, trop abstrait, pour être applicable aux problèmes urgents de la vie.

Je me suis assise sur le lit. J’ai fermé la porte et la fenêtre pour m’isoler des bruits de la rue, et je me suis enveloppée dans une couverture. Qui suis-je pour prétendre savoir quoi que ce soit ? Je ne sais rien et ne saurai jamais rien. Je me suis mise à pleurer, écrasée par le poids de mon propre néant.

Alors, de l’extérieur, d’une source extérieure, quelque chose sembla s’abattre sur moi, une épée, peut-être. Aussitôt, j’ai senti que je me transformais en une colonne de feu, et alors j’ai pu voir que j’étais Dieu. En moi résidaient toute la puissance, toute la splendeur, toutes les réponses, toutes les victoires, tout l’amour et toute la félicité. J’étais la Source de l’être, de l’existence. L’univers entier émanait de Moi, néant universel sans limite. Ses erreurs, sa cruauté, ses bévues, ses destructions, n’étaient que des rayures superficielles sur l’immensité immobile de l’éternité. Je descendais et tous se réjouissaient parce qu’un être avait revêtu le matériau grossier de l’univers et décidé de le faire vivre. Il allait devoir consacrer toute sa pensée, toute son attention, tous ses moments, tout son amour, toute sa volonté, afin de le faire croître. Lui donner vie n’avait pas seulement pour but de permettre à cet être de se connaître lui-même, mais de transformer et d’élever la matière même dont il était fait.

Je suis restée longtemps ainsi. Je me demandais si j’étais devenue folle, si j’avais des hallucinations. C’était peut-être une crise de démence. Peut-être que la chaleur m’avait perturbée. Et cependant, du fait de cette transformation temporaire mais totale de mon être, de toute ma nature, de tout mon mental et de toutes mes émotions, je ne pouvais pas attribuer ce phénomène à un stimulus extérieur de cellules cérébrales détraquées.

Après un long moment, des heures peut-être, quand j’ai repris contact avec le monde ordinaire, j’ai marché dans les rues. On aurait dit que j’étais scindée en deux : ce corps appelé Christine accroupi avec vénération devant la formidable splendeur du Soi. J’avais l’impression que tout le monde me regardait, parce que j’étais en train de brûler. J’avais un tel rayonnement que je ne pouvais pas me dissimuler. Peut-être que ma folie transparaissait déjà, dans des yeux hagards, des mouvements étranges, même si je sentais que mon corps se mouvait avec aisance et naturel, d’une manière qui ne devait pas attirer les regards.

Au bord de la route il y avait un homme qui vendait des petites statuettes en stéatite. Parmi les sujets exposés se trouvait une représentation phallique de Shiva, l’aspect créateur et destructeur de la divinité. Mais je fus surtout intriguée par le véhicule de Shiva, un petit taureau agenouillé devant lui. Cet animal accroupi, en adoration devant quelque chose de tellement immense qu’on ne pouvait le représenter que par un symbole, semblait expliquer très exactement ma propre expérience : la personnalité de Christine était semblable à ce taureau agenouillé devant la flamme de l’être infini.

En voyant cette statuette, j’ai su immédiatement que je n’étais pas en proie à la folie et au délire, mais que voici bien longtemps un autre rishi, un autre sage, avait formulé cette expérience universelle dans une œuvre d’art. J’ai acheté ce petit objet pour un prix exorbitant, parce que j’étais submergée de gratitude à l’idée que ce pauvre homme avait dû passer toute sa vie ici à vendre des statuettes uniquement pour que je puisse passer par là et savoir que je n’étais pas folle !

De retour dans ma chambre, j’ai lu la Mundakopanishad :
Il est à l’intérieur de notre propre cœur. Il a établi
Sa résidence dans le corps physique des hommes
Et gouverne à la fois le corps et la vie, Lui qui
Anime l’univers entier et toutes ses splendeurs.
Les esprits sereins méditent sur Lui et réalisent
Sa forme immortelle de joie absolue
 
Une fois encore je fus submergée par la gratitude en songeant que la connaissance de l’Inde était ainsi à la disposition de tous et déclarait que je n’étais pas victime d’hallucinations. Et j’ai su alors que quoi que je puisse donner à l’Inde, ce ne serait jamais assez parce que j’avais reçu quelque chose d’une valeur inestimable. Et enfin, j’ai su que le Silence de Vimalaji avait été projeté en moi, pour que je puisse connaître et comprendre ce Silence dans lequel elle vivait, ce Silence qui était la réalité de la vie.

Christine Townend, Le Maître Caché, du moi au Soi avec Vimalaji, Editions le Lotus d’Or

1 commentaire:

  1. Je suis heureuse de me laisser surprendre par la joie de voir mes peintures partagées et illustrer tes textes. Bisous.

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