mardi 1 novembre 2011

Du silence avant toute chose

Je me souviendrai toujours du jour où je me promenais dans un parc quand j'entendis soudain une musique qui me semblait venir d'un autre monde. Cela faisait des années que j'étudiais le piano et pourtant je ne la connaissais pas. Elle était d'une douceur quasi irréelle, comme touchant au plus profond et semblait n'avoir encore jamais été révélée. Je m'approchais peu à peu de la source sonore et fut pris d'un vertige: j'étais en train d'écouter une œuvre que je travaillais depuis des mois et je ne l'avais pas reconnue!

Pas à cause d'une interprétation différente ou de quelque autre critère, mais parce qu'à cet instant précis je ne m'attendais tellement pas à écouter de musique que j'avais perdu tout repère. Une sorte de vacillement dans la « non-connaissance » m'avait plongé dans un état de réception totale. C'était comme si j'entendais cette œuvre pour la première fois, et il n'y avait aucun écran entre elle et moi. Mieux, la notion de « musique » elle-même n'existait plus, il y avait juste l'écoute. Et encore...

Peu après la reconnaissance de l'œuvre, je perdis progressivement cette sensation délicieuse de la découverte. Mais à partir de ce jour-là je ne travaillai jamais plus de la même façon. Je mis longtemps avant de pouvoir m'expliquer ce qui s'était passé: un accueil, accueil sans référence, sans condition, sans concept, et ce n'est pas tant ce qui avait été accueilli qui avait été essentiel dans cette expérience que l'accueil lui-même. Pendant l'écoute, il n'y avait eu personne qui écoutait. Et dans cette ouverture totale se produisit la pure « compréhension » d'une œuvre que je côtoyais pourtant tous les jours mais que je n'avais en réalité encore jamais entendue...

La musique semblait donc avoir été à la fois le vecteur d'une ouverture et l'ouverture elle-même. Cela me fit penser au moment où l'on ouvre pour la première fois une partition. À ce moment précis, il n'y a pas d'analyse, mais seulement la surprise. L'oreille prend alors plaisir à goûter les sons, à la liberté infinie avec laquelle elle peut les créer. Puis, à mesure que le travail intervient, on perd ce sentiment de fraîcheur et les habitudes prennent le relais. La vigilance de l'interprète doit alors rester intacte pour percevoir le voile qui le sépare de la musique. Je pris peu à peu conscience de la mesure de cette ouverture, dont l'artiste peut se faire le passeur et par là même la transmettre aux autres, de sorte qu'ils se retrouvent unis l'un et l'autre en elle. Plus tard, en découvrant les récits d'éveil, je reconnus ce parallèle saisissant avec les expériences que je pouvais vivre à travers la musique, et commençai en même temps à appréhender chaque jour une sorte de confiance dans le simple fait d'être.

Pascal Amoyel

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